Interview à la radio en l’an 2000

Le Musée franciscain à Nice-Cimiez

 

Reprise et développement d’une interview donnée à la radio en l’an 2000.

 

L’interviewer : En entrant dans votre Musée, l’impression n’est pas habituelle. On s’attend à rencontrer une collection d’objets. D’objets d’art en tous cas.

Roland Marghieri : C’est bien ce que nous n’aurions pas voulu. S’il s’y trouve des œuvres d’art, elles sont là pour accompagner, souligner une évocation de l’Ordre Franciscain depuis les origines, le cœur de cette évocation étant la vie de saint François d’Assise et de ses compagnons jusqu’à nos jours et le secret de leur vocation spirituelle et sociale, avec un préambule sur l’histoire des couvents de Nice.

 

 

François avait-il besoin d’un Musée ?

Ni lui, ni Paul de Tarse, ni Mère Teresa, ni Pascal, Confucius ou Socrate n’ont besoin d’un Musée. Ils ont laissé suffisamment de trace dans la civilisation du monde. Mais d’autres forces contraires sont toujours en action. Il est bon de souffler sur la flamme de celui qui ne cesse de nous montrer le Christ, d’où les trois images qui ouvrent le Musée : François, la foule, le Christ en gloire bénissant. Et le Christ fera plus que de le considérer son prophète, son témoin, son imitateur. Il fera le poverello «conforme» à lui-même par ses propres plaies ré-ouvertes dans sa chair. Ainsi le Musée, plus qu’une archive ou un moment d’histoire se veut-il une source de réflexion et un exemple pour le témoignage de la foi chrétienne.

Quelle est l’origine de cette entreprise ?

Le Frère curé de cette paroisse en 1975 constatait le développement du tourisme et par conséquent de la fréquentation du site, et il voyait là une occasion d’ouvrir un apostolat vers ce qu’on appellera plus tard « ceux du dehors ou du seuil » et rendre ainsi l’Eglise « visible », ce que demanderont bientôt les évêques. Il était conforté dans cette idée par son prédécesseur à Cimiez, longtemps responsable de la célèbre basilique romane de Vézelay, près de laquelle s’était établi en 1217 le premier couvent franciscain en France.

 

Comment se concrétise cette idée ?

Après notre rencontre avec le Frère curé et sur un projet général encouragé par la Province franciscaine et l’unanimité du Conseil paroissial, se crée en 1976 une association loi 1901 avec pour statuts : « Il est constitué à Nice ( Alpes maritimes ) une Association sous le titre de Cimiez-Art qui a pour but de faire connaître et aimer tout ce qui a trait à la mystique franciscaine, découvrir les beautés artistiques contenues dans le Monastère, organiser des exposition, conférences, visites, enfin intéresser toutes personnes au développement de la famille franciscaine ».

La première fiche était de réorganiser matériellement l’église : éclairage, vitrages, accès de visite, commentaire général, publications, puis restaurations des peintures murales, du retable des Stigmates, du Christ gisant, de la croix de marbre, du retable de la Crucifixion. Ces tâches bientôt suivies d’un projet de Musée. En 1992, la Ville de Nice confirme son approbation par l’instauration d’une convention : « L’association Cimiez-Art, en concertation avec la Communauté franciscaine a développé une action de mise en valeur du patrimoine. Etant donné son intérêt, par celte convention la Ville de Nice reconnaît à l’association le droit d’organiser dans les bâtiments, des visites et des expositions ».

Le Musée est ainsi une émanation de l’Association avec pour but d’éclairer et d’illustrer le message spirituel et social du Franciscanisme à l’aide de documents et d’œuvres d’art soigneusement appropriés.

Qui dit tourisme ne dit pas forcément propension au religieux. Vous misiez sur quoi ?

A l’ouverture du Musée en 1980, à l’ère de l’existentiel, du renversement des valeurs, lesquelles il est vrai, ne gardaient souvent de leur fondement que des rites et des traditions empoussiérées, ce Musée prenait sa place dans la proposition d’espérance offerte par les Eglises. Et cet accord chez François d’Assise entre contemplation et attention aux autres, entre libre arbitre et respect de l’Eglise catholique étaient bien faits pour séduire les chercheurs d’accord entre science et conscience, entre rationalité et métaphysique.

Il fallait donc montrer de François, avec sa profonde spiritualité, sa connaissance intuitive des Ecritures, sa remise de soi intégrale, tout ce que son attitude génère de valeur à la fois sociale et théologique chez ceux qui, consciemment ou non peuvent se réclamer de lui de nos jours encore.

Quels étaient les éléments à votre disposition ?

Une partie du Monastère inoccupée, au second étage, en mauvais état, propriété de la Ville de Nice, c’est-à-dire une suite de cellules et la bibliothèque de l’ancien noviciat qui étaient propres à rythmer une présentation du phénomène franciscain en thèmes successifs : l’Histoire des couvents de Nice-Ville et de Cimiez, la Fraternité, la Passion du Christ chez François, la Prédication, le Développement de l’Ordre avec ses grandes figures, la Mission, l’influence sur la société, les Fraternités de laïcs, sans oublier les sœurs Clarisses, avec la reconstitution d’une cellule et de la chapelle qui rappelle la rencontre de François avec l’Evangile.

Mais comment matérialiser ?

Les écrits de saint François, les biographies, les témoignages de ses compagnons en furent la source scripturaire. Des gravures, peintures, sculptures, ouvrages enluminés, fac-simile, objets d’art religieux allaient accompagner et illustrer les textes essentiels.

 

Vous êtes donc le créateur de ce lieu. Etiez-vous préparé à une telle entreprise ?

La Société de saint-Vincent-de-Paul (lui-même était tertiaire franciscain), Frédéric Ozanam (récemment béatifié) qui restitue les Fioretti avec les poètes italiens du Trecento, la fréquentation des Franciscain de Monaco, plusieurs voyages à Assise en famille m’avaient rendu proche l’esprit franciscain. Restait à faire un grand travail d’approfondissement et de synthèse, d’obtention de documents, de rédaction et de mise en œuvre après une réfection générale des lieux.

A propos de ces techniques, quelle était votre profession ?

Principalement graphiste-concepteur en édition puis Directeur d’études d’arts plastiques et graphiques.

 

 

Parlez-nous des objets qui occupent votre Musée, da leur provenance et de leur appartenance.

Beaucoup allaient revivre. Ceux trouvés disloqués dans les combles ou écartés par la mode et la nouvelle liturgie : confessionnal, tabernacle d’un autel secondaire, ornements sacerdotaux, sièges, fragments de l’autel primitif. Des peintures, sculptures dormant dans des coins noirs, des placards, en double d’usage ou devenus indifférents aux regards : la grande mater dolorosa, l’icône de la Vierge à l’Enfant entourée de ses ex-voto, les deux grandes lanternes de procession, voilà trois exemples parmi d’autres de restaurations qui ont été nécessaires et faites par moi-même. De ces objets, trouvés sur place ou provenant de couvents franciscains abandonnés proches de Nice ou plus lointains, il va de soi qu’aucun n’a été retiré d’une fonction de liturgie ou de dévotion. Des pièces ne revoyaient pas le jour : les grands reliquaires polychromes, les parchemins manuscrits enluminés, l’étonnante pendule cosmographique, la crossa de Frère Novella, novice à Cimiez et évêque en Chine. Certains avalent besoin d’une remise en état urgente, ainsi les 130 eaux-fortes du petit cloître entre autres.

Des sondages systématiques ont fait découvrir des peintures murales et permis leur restauration par les Services départementaux, y compris dans la partie sud du Monastère. Les dons ont été nombreux : la statue du saint Roch, les instruments de la Passion, la fine Vierge de l’Apocalypse, le grand tapis de prière ladik provenant du saint-Sépulcre, usé par le passage des pèlerins (les Franciscains sont gardiens des Lieux-saints depuis le 14ème siècle), d’autres sculptures qui ne sont pas dans le Musée : la Vierge à l’Enfant sur un quartier de lune de l’Oratoire, le saint Antoine de Padoue en bois doré de la Sacristie. Nous avons acheté le Crucifix en nacre de la cellule parce que d’origine franciscaine, la petite sainte Anne en terre vernissée bretonne parce qu’invoquée volontiers par saint François.

 

Par leur qualité sentimentale, les objets ne détournent-ils pas du Message fondamental ?

L’image n’a pu s’imposer que difficilement dans le Nouveau Testament et l’Eglise n’a ensuite admis la statuaire et son réalisme des trois dimensions seulement parce que reliquaires à l’origine. L’icône, la statue sont des truchements, on peut seulement les révérer tandis qu’on vénère les saints eux-mêmes et qu’on n’adore que Dieu.

Mais ces objets ne sont pas les seuls à retenir l’attention ; il y a des anecdotes, des propos, des situations : cette photo d’un Frère hilare à table qui nous rappelle ce passage de la règle « Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas ; que celui qui ne mange pas ne luge pas celui qui mange ». Cette peinture de paravent japonais montrant l’arrivée des Franciscains au 16ème siècle. Nous apprenons que François demandait aux tertiaires laïcs de refuser de porter les armes, que les premiers pompiers permanents dans les bourgs étaient des Franciscains. Nous entendons le F. Jean Duns Scot définir le dogme de l’Immaculée Conception, le F. Roger Bacon nous dire trois siècles avant Galilée « Faites voile à l’Ouest et vous atteindrez l’Est ». Nous croisons dans les steppes de l’Asie le F. Jean de Plancarpin, 63 ans sur le point d’atteindre après un an de voyage à pieds, la yourte du Grand Khan de Mongolie. Nous pénétrons dans la nuit mortelle du bunker de la faim avec le F. Maximilien Kolbe. Nous nous mêlons à la foule qui fête le huitième centenaire de François d’Assise dans l’oliveraie de Cimiez. On peut lire sur une fresque dès l’entrée du Musée « Tous les saints de l’Ordre des Frères mineurs, priez pour nous ». Aussi, les permanents du Musée s’engagent–ils à dire chaque jour la prière de la couronne franciscaine à l’intention des visiteurs, un rosaire de joie mariale léger et parfumé.

Sur votre question d’appartenance, la loi sur les associations ne décrète rien d’absolu. Je laisse saint François nous répondre : « Sachons-le avec certitude, rien ne nous appartient sinon nos vices et nos péchés » (1ère Règle 17,7).

La signification de certains objets est claire mais expliques-nous par exemple la présence de tant d’éléments dans ce que vous appelez les Instruments de Passion.

Il s’agit d’une œuvre d’art populaire, de marin ou de marinier, de provenance marseillaise offerte par le Frère Jean-Claude. Autour de la croix s’ordonnent suivant le déroulement de la Passion dans les Evangiles : la COUPE d’angoisse et de déréliction que le Christ demande à Dieu son père d’éloigner de lui s’il le veut – Le COQ qui chanta tandis que Pierre avait déjà renié Jésus trois fois – La BOURSE aux trente deniers de Judas, prix de la livraison du Christ dans la nuit à la lueur d’une LANTERNE – Les VERGES et le FOUET aux boules de plomb de la flagellation – la COURONNE d’EPINES tressée par les soldats Ironiques et le BATON pour l’enfoncer sur le crâne de Jésus – Les TROIS DES qui décideront par le sort à qui échoira la tunique sans couture du Christ – Les CLOUS, le MARTEAU propres à la mise en croix – L’EPONGE au bout d’une pique présentée à la soif du condamné – La LANCE qui transpercera le côté jusqu’au COEUR et dont il sortit de l’eau et du sang – La PANCARTE et son inscription I.N.R.I. Jésus de Nazareth, Roi des Juifs – L’ECHELLE et les TENAILLES de la déposition du corps – enfin le VASE contenant le parfum dont Madeleine oindra le corps du Christ.

Y-a-t-il d’autres Musées franciscains dans le monde ?

De nombreux couvents ont aménagé en collection leur réserve d’œuvres d’art : la Basilique d’Assise, Santa Croce à Florence, le Musée des Capucins de Rome, le charmant musée des missions à Fiesole. Beaucoup d’anciens couvents comme à Chambéry sont devenus des Musées publics. Ils ne sont pas didactiques. La ville d’Assise ou le Mont Alverne sont eux, des mémoriaux intemporels de présence franciscaine.

Comment vous faites-vous connaître ? Quelles sont vos statistiques ?

La plupart des guides touristiques mentionnent notre Musée. Nos moyens de publicité sont modestes : pour la diffusion, un dépliant gratuit en quatre langues qui détaille aussi l’église, et sur place une brochure, un catalogue, des cartes postales.

Nous recevons 15 à 18.000 visiteurs par an. Français et Italiens les plus nombreux, puis Anglais, Américains du Nord. Toutes les parties du monde sont aussi représentées. Des classes d’écoles publiques et privées viennent concrétiser l’enseignement du « fait religieux » au programme. Notre « Livre de bord » enregistre, doit­on le dire, beaucoup de témoignages élogieux avec un leitmotiv : «Ici, on trouve la paix ». Par ailleurs, je reçois des Etudiants, des stagiaires en vue de diplômes de tous niveaux et de simples curieux d’art et d’histoire.

Quelles sont vos ressources, vous ne faites pas payer l’entrée, pourquoi ?

D’abord, afin d’être en accord avec l’esprit du Poverello, la dépense peut décourager une famille et les plus démunis. Ensuite, suivant la diversité des tarifs, les comptes à tenir, les redevances et charges, nous ne tirerions aucun profit. Sachons qu’II n’y a pas de Musée qui puisse s’autogérer et notre organisation est simple et stricte : la Mairie a contribué à la remise en état initiale des lieux et continue à nous attribuer une aide annuelle, reconnaissant – déclare­t-elle – « le caractère patrimonial, culturel, sociologique de notre association ». Tous les acteurs sont bénévoles. L’accueil est assuré à raison de deux personnes le matin, deux l’après-midi sur six jours. C’est donc une équipe de plus de vingt-cinq personnes qui y participent sans pour autant négliger leurs autres activités dans les mouvements paroissiaux. Nous n’avons qu’une salariée (à temps partiel) pour l’entretien. Bien que ne bénéficiant pas de cotisations de membres, car je me refuse à toute sollicitation sur la paroisse, nous stabilisons ainsi nos finances face à nos dépenses de maintenance facilement imaginables.

Devant la perfection des techniques audio-visuelles et leur facilité d’accès, les Musées ont-ils moins d’attrait ?

Dans ces représentations virtuelles souvent splendides, nous demeurons séparés de la réalité. Or, ne cessent de se développer les actions de rue, de plein vent, de contact (la récente mission paroissiale) qui répondent au besoin de se mouvoir dans un espace réel et de faire des rencontres physiques comme on accourait à François pour le voir, l’entendre et le toucher « en vrai ». C’est ce que je voulais car le sens du toucher est émotionnel et mémorisateur. Au début j’ai donc laissé des objets à portée de la main quoique fixés, jusqu’à ce que des vols grossiers obligent à les protéger sous vitrines.

Chaque Musée a son joyau qui le caractérise. Et vous ?

Trois pièces, dès l’origine se sont imposées comme axe d’harmonie : l’emblème franciscain (le bras du Christ et le bras de François) rongé par la rouille, remis en état, qui nous accueille à l’entrée – l’icône en léger relief doré de type hodighitria (celle qui montre le chemin) pour la douce expression de la Vierge et le regard de l’Enfant Jésus qui nous traverse – le tapis de prière du Saint Sépulcre qui par son origine nous remémore la démarche de Saint François auprès du Sultan d’Egypte et son voyage en Terre Sainte.

Quel serait, selon vous, le Musée idéal ?

Il faudrait dire aussi : le visiteur idéal prêt à interpréter le langage de l’objet. Saint François, comme le Christ, savait montrer le transcendant dans le geste simple : aux Clarisses qui réclament de lui un entretien spirituel, sans un mot, il trace un cercle de cendres autour de lui, se recueille dans le silence et s’en va, se faisant ainsi objet lui-même de réflexion et d’humilité.

 

A défaut d’atteindre à la perfection, quel rôle accordez-vous à votre Musée ?  

A la paix reconnue par les visiteurs le Musée voudrait ajouter la jus­tice qui nous jetterait hors de notre quiétude matérielle ou communautaire et même de notre chambre de prière pour nous engager dans la solidarité envers ceux qui ne visitent pas les Musées quand leur vie quotidienne est un drame qui leur suffit.

Il y a, sur le mur d’un couloir attenant à l’Eglise, un fragment de fresque heureusement préservé quoique altéré. Sur le linge dont Véronique a essuyé le visage du Christ de la Passion s’est inscrite pour notre contemplation, l’image du Messie notre Dieu et l’homme de notre prochain.




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