Le retable de « La Pietà »

Le retable de La Pietà :

Depuis peu, la Pietà toute entière se dissimule à nos yeux derrière une gaze insolite. Ce peut-il qu’elle impose silence à cette œuvre ? Tel ce sculpteur qui, impuissant à traduire dans la pierre le visage d’une mère devant son enfant mort, la couvrit d’un voile sans rien enlever à l’expression de son déchirement, cette gaze légère posée sur la Pietà, si elle estompe les traits et les couleurs, ne peut arrêter l’image de douleur de la Vierge portant le corps du Christ mort sur ces genoux, la force et la beauté de cet ensemble.

 

Cette Pietà, œuvre la plus connue du jeune peintre Louis Brea, tenue pour un chef-d’œuvre, provient d’un grand retable en partie disparu (à la fin du XVIème siècle les retables monumentaux, tenus pour démodés, incompatibles avec les grands autels baroques alors aménagés partout, devinrent encombrants ; souvent démembrés, les éléments détachés de ces œuvres furent dispersés ou détruits.).

Accueillis à Cimiez, trois ans après la destruction du couvent de l’Observance situé alors aux lisières de la vieille ville (en 1543 ils furent victime de la guerre entre la France et la Savoie), les Frères Mineurs transférèrent dans leur nouvelle église ce qui restait de leurs biens dont les trois retables, l’un des trésors de l’Ordre. Ils furent placés sur leurs nouveaux autels au prix de réajustements. Ici les modifications sont évidentes : le cheval de saint Martin et le pauvre, le manteau de sainte Catherine et même les pieds du Christ ont été retaillés ; le décor de bois sculpté qui rythmait les registres comme il était d’usage a disparu.

Malgré ces mutilations la beauté du triptyque reste intacte.

D’emblée, le fond doré qui unit les trois panneaux invite le regard à pénétrer dans la lumière céleste, à contempler la perfection dont l’or est le symbole…perfection de la Vierge et du Christ dont témoigne l’auréole placée sur leur tête, celle de saint Martin et celle de sainte Catherine d’Alexandrie dont les longs cheveux blonds dénoués sont le signe de son abandon à Dieu.

Les deux panneaux latéraux peuvent surprendre par la richesse et la couleur…comment ne pas admirer le magnifique cheval et l’élégant jeune homme qui le monte, comment ne pas s’étonner de la tenue précieuse de la jeune fille qui porte avec aisance les attributs de son supplice ?  Saint Martin a son Pauvre, sainte Catherine a sa roue et l’épée mais, pas plus que leur statut social, ces évènements ne semblent avoir d’importance. Ce qui compte est indiqué par leur regard : le jeune homme attentif à ce partage qu’il vient de commencer, est occupé par une attention plus secrète, intime ; la jeune fille paraît libérée de la pesanteur, tournée vers sa vie intérieure. Ils ont choisi le Christ. L’un et l’autre sont les fruits éclatants de l’Amour de Dieu témoigné par le sacrifice de son Fils représenté au coeur du retable.

C’est donc bien le panneau central qui porte la source de leur lumière, de la Lumière, quand bien même tout éclat y est éteint. Les anges sont décolorés ou sont couleur de suie, la robe de la Vierge prend une teinte de lie et son manteau sombre entoure sa tête comme un voile de deuil, referme les pans pour accueillir sur ses genoux le corps de Jésus crucifié. Ici, le silence enveloppe la tragédie. Et pour accentuer ce moment, en contre point insolite, des angelots éperdus, disgracieux, volent autour de la Croix, grimacent, essuient leurs larmes…tordent leur mains nouées. Contraste saisissant avec la douleur de Marie qui est prière et contemplation.  Car la Vierge rejoint son Fils pour l’ultime don, celui du sacrifice consenti.

Un long temps sans doute passera avant que se lève le voile mais…

 

Source : Germaine et Pierre Leclerc, Louis Brea, Un poème de l’unité. Editions Mame, 1992.

 

Rédigé par Jacqueline Cuviet.




Commentaires fermés